Agent de sécurité privée:
un métier, qui se professionnalise

Interview de Christophe Berthiaud, responsable du Centre de Formation en Sécurité (CeFor) d’étic SA

Face à une demande toujours plus exigeante, le métier d’agent et d’agente de sécurité privée se professionnalise pour répondre en tout temps, à l’évolution des menaces qui pèsent sur la sécurité des biens et des personnes. L’association faitière AESS-VSSU (Association des entreprises suisses de services de sécurité) soutient très activement la profession dans sa/cette quête de légitimité notamment par le Brevet fédéral qui est actuellement la seule distinction officielle. Avec un soutien syndicalisé (UNIA), l’harmonisation de certains points de la convention collective de travail, dont les salaires, permet ainsi une hausse de la fidélisation du personnel.

Par ces temps, l’/la (ré)-insertion professionnelle, figure parmi les autres points d’attrait de la profession, qui compte environ 4800 personnes à Genève, dont 1000 à 1200 sont estimés détenteurs de Permis de Port d’Armes (PPA) représentant les armes contondantes et les armes à feu.

 

Le métier d’agent de sécurité, qui compte 4800 personnes à Genève connaît-il une phase de transformation?

C’est une profession qui connaît un nouvel essor, pour plusieurs raisons. Elle est soutenue par l’association faitière AESS qui veut la rendre légitime. Elle répond à une demande croissante et toujours plus exigeante de la part d’une clientèle représentée par des institutions publiques, des entreprises privées et des particuliers. Elle se professionnalise avec une série de diplômes interentreprises et des projets de formation, que nous apportons continuellement pour renforcer la compétence de l’agent sur le terrain.

Depuis le 1er juin 2020, une nouvelle CCT (Convention collective de travail), permet de renforcer l’harmonisation des conditions de travail, améliorant les prestations contractuelles et permettant de diminuer un turnover au sein de la profession.

En termes de réinsertion professionnelle, entre 70 et 80 demandeurs d’emploi, inscrits à l’OCE (Office cantonal de l’emploi) ou bénéficiaires de l’aide sociale (Hospice Général), trouvent leur voie dans la profession d’agent de sécurité, chaque année par le biais de nos projets de réinsertion.

Sur Genève, la profession est soumise à une autorisation d’exercer, délivrée pour Genève, par la Brigade des armes, de la sécurité privée et des explosifs (BASPE) de la police cantonale genevoise, qui en est l’autorité de référence et qui réglemente près de 117 agences de sécurité, de toutes tailles, de l’indépendant, à la Sarl ou SA. Depuis le 1er juin 2020, toute agence de sécurité doit répondre aux exigences de la CCT ce qui n’était pas le cas dans la version précédente de la CCT.

 

Quels sont les diplômes existants?

Il existe un brevet fédéral, qui peut être acquis dans trois spécialisations (Surveillance, Protection, Manifestation et Centrale d’alarme). Toutefois, il ne permet pas de légitimer la profession comme un métier, mais apporte une reconnaissance dont l’acquéreur peut porter le titre reconnu d’agent professionnel de sécurité.

Malgré cette distinction, qui détermine, selon le schéma de hiérarchisation suisse une compétence de leadership, appropriée à un cadre opérationnel, la problématique demeure: c’est le manque de reconnaissance du brevet fédéral, qui n’est pas forcément obligatoire pour exercer la profession.

Actuellement et sans cette distinction, il n’existe aucune autre forme de valorisation étatique, cantonale ou communale.

 

Le contexte de crise sanitaire début 2020, qui se prolonge en crise économique et sociale, et qui requiert une surveillance accrue dans les lieux publics, les magasins favorise-t-il le recours aux agents de sécurité?

Dans le contexte actuel, de nouveaux besoins apparaissent, comme le respect des mesures barrières et la distanciation sociale dans les espaces ouverts au public. Si la hausse n’est pas massive, elle s’accéléra et les agents de sécurité joueront un rôle important.

Prévenir et préserver, éviter la propagation du virus, respect de la réglementation interne, sont des domaines d’opportunités pour les agences de sécurité. S’orienter vers cette profession, comme réinsertion et carrière professionnelle, peut apporter une réponse à la crise économique et lutter contre la hausse du chômage, en lien avec toute personne majeure désireuse de rendre service et répondant au prérequis de la profession.

A contrario, et bien que l’économie ait été autorisée à reprendre, la profession fait partie d’une des nombreuses victimes de cette crise sanitaire qui a toutefois compromis une grande partie des activités de sécurité, principalement dans le cadre des manifestations et du secteur aéroportuaire.

 

Quels sont les grands secteurs qui requièrent un agent de sécurité?

On retrouve les prestations de l’agent de sécurité dans principalement 4 domaines. La Protection (protection et accompagnement de personnes et de biens, chef d’Etat, diplomates, personnalités du showbiz, riches industriels etc..); les Manifestations (évènements sportifs, culturels et musicaux, fêtes privées…); les Centrales d’alarme (Réception des alarmes et gestion des opérations) et la Surveillance (Bâtiments de toutes sortes tels que bancaires-industriels-horlogers-ferroviaires-aéroportuaires…, propriétés privées, phase de chantier) dont on peut retrouver des activités de huissier et/ou accueil-réception…). Pour cette dernière spécialisation, la reprise économique permet une hausse des demandes de surveillance dont la période estivale est propice à l’ouverture des piscines et des zones aquatiques, ce qui permet aux agences de sécurité, d’apporter leurs contributions à la sécurité des personnes dans des tâches telles que la gestion des accès, mais également dans la prévention de vol et surtout dans l’observation du respect des normes en vigueur établies dans chaque établissement.

 

La prestation d’un agent de sécurité s’inscrit-elle dans un contrat d’assurance?

Les assurances peuvent apporter une réelle contribution au développement de la profession et créer une opportunité de professionnaliser encore plus les compétences requises. C’est le cas pour certains secteurs d’activité où les valeurs sont répertoriées comme importantes et nécessitent des mesures de protections imposées par les assurances. A ce titre, la présence d’agents et d’agentes de sécurité et/ou l’installation d’un dispositif de sécurité technique, pourrait être une des mesures pour diminuer le risque encouru, ce qui occasionnerait une diminution de primes d’assurance pour le propriétaire des lieux.

 

Un des sujets d’actualité concerne certaines techniques d’interpellation. Comment se positionne l’agent de sécurité?

Il est difficile de se positionner sur ce sujet, car notre secteur d’activité n’est pas directement lié à des mesures de contrainte. Toutefois, les actions de privation de liberté restent une procédure que tout citoyen peut être à même d’engager. C’est le code de procédure pénale qui en est la référence et qui en délimite les possibilités. A ce titre, il est également opportun de rappeler que l’agent de sécurité ne bénéficie d’aucune autre forme d’autorisation que celle que peut avoir un citoyen, ce qui revient à dire que le personnel des agences de sécurité se doit d’avoir un comportement exemplaire en appliquant uniquement les mêmes droits qu’un citoyen.

Au CeFor nous restons très prudents sur la manière de former. En effet et contrairement à de fausses idées reçues, il ne suffit pas d’obtenir une formation de base pour prétendre être à même d’interpeller un individu dans une procédure de contrainte. L’interpellation reste une étape toujours très délicate. Quel que soit le niveau de nos élèves, on ne connaîtra jamais la motivation, la détermination et la compétence des protagonistes que nous pourrions avoir en face. En formation continue, nous insistons sur la démarche à suivre, qui s’avère beaucoup plus tactique que technique. Le personnel de sécurité est formé à la dissuasion et la prévention avant tout et la règle de la prudence restera l’objectif principal à respecter. Une interpellation engageant une mesure de contrainte ou de retenue pourrait être exercée uniquement en dernier recours, lorsque l’on a tout essayé et épuisé. L’évaluation du risque est donc très importante et doit tant bien que mal, pouvoir éviter un danger occasionnant des lésions à l’intégrité corporelle ou la vie des parties présentes. Notre devise consiste à ce que chaque engagement d’un agent de sécurité puisse être justifié de manière correcte face à une procédure juridique.

 

Partir ou rester et s’engager physiquement?

Une question qui est travaillée régulièrement et que nous essayons d’inculquer à nos élèves sachant que le travail principal du personnel de sécurité privée n’est pas d’exercer une quelconque forme de répression, tâche dédiée principalement aux autorités compétentes. De cette sorte, notre concept de formation interne intitulé BBEC (Base-Bouge-Engage-Contact) a tout le mérite d’être dispensé. Ce modus operandi comprend 3 phases d’apprentissages dont le Savoir (permettre de connaître les actions juridiques justes), le Comprendre (permettre de comprendre les mesures envisageables selon les circonstances et leurs conséquences) et l’Appliquer (permettre d’apporter les bons moyens et de faire les bonnes transitions propices à chaque évènement). Nous restons très attentifs sur le fait que d’être détenteur d’un moyen auxiliaire de défense ne doit pas faire naître l’idée qu’il doit être obligatoirement utilisé pour faire faire face à la situation. Lorsqu’un agent est confronté à une situation conflictuelle sans moyen de défense, la situation est abordée avec beaucoup de pédagogie. Nous essayons de faire en sorte que malgré l’obtention d’un moyen de défense, l’agent continue d’apporter ses aptitudes pédagogiques dans la gestion de conflits avant d’être en mesure d’engager un autre moyen plus contraignant.

 

En Suisse, quelle est la réglementation concernant les moyens de défense et de contrainte?

Les moyens auxiliaires de défense et de contrainte (MADC) constituent des moyens que le personnel de sécurité peut être autorisé d’utiliser contre une agression. Main nue, spray de défense, bâton, arme à feu. Leur recours nécessite une formation rigoureuse et adaptée pour chaque agent de sécurité.

En termes de port, il existe selon la loi sur les armes suisse (LArms), deux parties répertoriées: les objets dangereux et les armes.

Les sprays de défense, par exemple, sont répertoriés par classe de toxicité. Les classes de toxicité 1 et 2 sont considérées comme des armes interdites en Suisse, tandis que la classe de toxicité 3 est autorisée et n’est pas considérée comme une arme. C’est notamment le cas des sprays de défense à base de poivre de Cayenne ou nommée également OC (oléorésine capsicum). Ces sprays sont donc libres à la vente et au port dans les magasins spécialisés. Bien qu’aucune formation ne soit obligatoire, il reste primordial que toute éventuelle utilisation soit connue par l’ensemble des professionnels et comprises, notamment dans l’aspect des procédures d’engagements et des conséquences envisageables. Au Cefor, nous invitons l’ensemble du personnel de sécurité intéressé par ce moyen de défense, de se prémunir d’une formation avant de le porter.

Pour la profession de sécurité privée, les armes contondantes (bâton tactique) et les armes à feu sont parfois recommandées pour la nature de certaines missions. Un permis de port d’arme (PPA) sera exigé pour prétendre pouvoir porter ces armes. L’examen comporte une partie théorique et une partie pratique et s’effectue principalement auprès de la police cantonale. Au travers de ce PPA, il faut rappeler que ces armes doivent être portées de manière non apparente (non visible) sur les lieux publics ou ouverts au public.

Pour les armes contondantes (bâton tactique), aucune formation continue n’est exigée. Toutefois, au CeFor, nous comptons sur la responsabilité des entreprises de sécurité et de chaque détenteur de PPA de prendre du temps afin de maintenir un niveau permettant d’être capable d’agir selon les circonstances.

Concernant les armes à feu, il est exigé par le biais de la directive de formation concordataire (CES), d’effectuer une formation continue dispensée trois fois par année (tous les 4 mois) relative à un programme de tir, incluant 50 cartouches minimum par tireur. Chaque société de sécurité est responsable d’organiser ces formations et chaque détenteur est responsable de suivre ces formations.

Sur environ 4800 agents de sécurité à Genève, environ1000 possèdent une arme, avec un permis de port d’arme fédéral, réparti entre le bâton tactique et l’arme à feu (pistolet semi-automatique). Sur les 2100 policiers genevois environ, tous sont armés (à l’exception de la police municipale).

Selon un article paru dans le quotidien «Le Monde» sur les statistiques d’acquisitions d’armes: en Suisse, tous les militaires de milice en possèdent, soit en moyenne dans le pays 1 personne sur 2 possède une arme à feu, ce qui place le pays en troisième position derrière les Etats-Unis et le Yémen. La Suisse abrite plus de 3,4 millions de pistolets et fusils, selon l’ONG Small Arms Survey, basée à Genève.

 

L’interpellation de George Floyd aux Etats-Unis, qui a été qualifiée de meurtre, a suscité de grands mouvements nationaux, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde. Quelle analyse faites-vous de la situation?

En Suisse, cette situation nous rend encore plus attentifs sur le respect des bonnes procédures à exercer en cas d’engagement physique. Rien n’est plus difficile que d’essayer de contraindre un protagoniste qui ne souhaite pas se laisser faire.

Outre la tragique interpellation de Georges Floyd, certaines vidéos montrent à quelques reprises, des policiers dans le cadre de procédure d’arrestation face à une seule personne. L’opinion médiatique s’enflamme et apporte son lot de commentaires en constituant des avis tirés d’appréciation plus personnelle les unes que les autres et ce, sans connaître les difficultés que peut engager ces situations.

Il reste néanmoins que l’interpellation de Georges Floyd a permis d’identifier que des mauvaises applications des mesures de contrainte étaient exercées. En effet, dans ces circonstances les principes de réponses physiques doivent en tout temps respecter une tactique d’intervention où certaines actions répressives ne peuvent être exercées car trop violentes et disproportionnées aux situations.

Au CeFor et en lien avec nos élèves, nous nous engageons à ce que nos programmes de formation respectent les fondements pédagogiques instaurés par le label EduQua et puissent être conforment aux aptitudes pratiques et déontologiques de l’enseignement tiré du label Monodnock Safariland également représentatif des fondements constitués par l’enseignement dispensé à l’Institut Suisse de Police (ISP).

Au-delà des programmes de formation que nous dispensons aux professionnels de la sécurité, nous avons également ouvert des sessions de formation au public afin de donner, à toute personne intéressée, les compétences et aptitudes pour pouvoir se défendre selon ses propres capacités et être capable d’utiliser tout éventuel moyen et accessoire qui pourrait être porté ou à disposition dans son environnement.

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