La suisse veut réduire sa dépendance au cloud public
Localisation mondiale des data centers
L’ensemble des données en circulation sont stockées à environ 50% dans le cloud public mis à disposition de tous par les GAFAMA et 50% dans des centres de données appartenant à des institutions publiques, étatiques ou privées. Le Conseil fédéral examine la faisabilité d’un nuage informatique suisse («Swiss Cloud»).
Fabrice Consenti est président et cofondateur d’EDIFICOM, société reconnue dans les domaines des services Datacenter, de la sécurité et de la mobilité. Il est aussi membre cofondateur de l’association Swiss Data Center Association (SDCA), initiative portée par un écosystème de professionnels issus de l’économie digitale, et gravitant autour de la protection des données, de la cybersécurité et du big data. Fabrice Consenti figure dans l’écosystème d’étic, soit des partenaires, acteurs dans le monde de la sécurité et qui réfléchissent aux enjeux liés à la protection des données. Interview.
L’association Swiss Data Center Association (SDCA) – dont vous êtes un des membres fondateurs – qui regroupe plus de 25% des surface d’hébergements des centres de données en Suisse sur les 85 existants. Créée en 2016, sa mission est de préserver la mémoire numérique universelle. Objectif atteint en 2020?
A plusieurs, vous êtes plus forts. C’est le but de toute association et c’est le nôtre également de regrouper diverses compétences de différents corps de métiers. Il reste encore beaucoup de place de stockage dans les 85 datacenters de Suisse. Cela prendra des années. Les data centers en Suisse bénéficient en très grande partie de l’utilisation de l’énergie verte, de redondance et de résilience de leurs infrastructures. Le rachat du suisse DFI (cloud computing, telecom, sécurité et infrastructure IT) par le français Cheops Technology témoigne de l’attractivité de la Suisse. La confiance se gagne ainsi.
L’implantation de ces 85 datacenters sur son territoire place la Suisse au 5ème rang mondial en terme du nombre de datacenters par pays et elle est classée 3ème selon le rapport de 2016 du Data Center Risk Index. La Suisse souhaite-elle et peut-elle devenir le coffre-fort numérique de l’Europe?
La Suisse, au carrefour de l’Europe, possède des atouts indéniables pour l’hébergement des données. Ses lois garantissent un niveau maximum de protection des données privées et entreprises, et posent des conditions strictes pour le traitement hautement confidentiel des données sensibles (médicales par exemple). La Suisse devrait valoriser plus ses datacenters auprès de gouvernements étrangers dans des zones instables, qui craignent fortement pour la sécurité de leurs propres datacenters. De la même façon que de grandes quantités d’or de gouvernements étrangers sont stockées en Suisse, les données sensibles de ces gouvernements pourraient être dupliquées et hébergées en Suisse.
Le Conseil fédéral examine en détail la faisabilité d’un nuage informatique suisse («Swiss Cloud»), en collaboration avec les départements, la Chancellerie fédérale, les cantons ainsi que les milieux économiques et scientifiques. La Suisse a-t-elle intérêt à développer sa propre infrastructure de données et de services en nuage?
La prise de conscience de la Suisse a été accélérée par la pandémie. Réveillée, elle cherche à renforcer l’autonomie de ses données.
La donnée sera pour la Suisse, comme les montres, le chocolat ou la pharmacie, des pôles de référence. Etre un coffre-fort numérique ne signifie pas enfermer les données et pour les citoyens elles doivent pouvoir être plus accessibles mieux contrôlées.
Ce projet de « Swiss Cloud » a été annoncé en pleine crise sanitaire en avril va durer entre 12 et 18 mois. Elle porte sur la question de savoir dans quels domaines il faut prendre des mesures pour améliorer la souveraineté de la Suisse en matière de données et pour réduire au minimum la dépendance de notre pays par rapport aux grands prestataires internationaux de services en nuage.
Participez-vous à cette étude de la Confédération, en tant qu’association de data centers?
Nous espérons faire partie de l’écosystème et nous serons fiers que la Confédération puisse s’appuyer sur des data centers suisses. La Swiss Digital Initiative – fondation genevoise lancée lors du WEF en janvier et présidée par Doris Leuthard – veut d’établir une charte mondiale, plus éthique et de gouvernance des données et des droits d’accès. La Suisse avec le siège des nombreuses organisations internationales et d’ONG a tout son rôle à jouer. Elle est le pays où les droits fondamentaux sont défendus.
Nous sommes également membres à Digital Switzerland, qui a récemment fusionné avec AlpICT. Nul doute que de créer un « Swiss Cloud » renforcerait l’indépendance de de la Suisse dans la gestion de ses données.
Avec le développement du edge computing, soit le rapprochement des données vers les utilisateurs, on assiste à la construction de data centers de plus en plus proches des villes. Le revers de la médaille des centres de données est la pollution numérique qui y est associée. Comment votre association en tient-elle compte?
SDCA est aussi un des membres fondateurs de la nouvelle association intitulée Swiss Data Center Efficiency Association (SDEA) qui a été lancée au World Economic Forum de Davos de cette année, sous l’impulsion de digital switzerland et soutenue par l’Office fédéral de l’énergie (l’OFEN). Un nouveau label « Datacenter Effciency » évalue l’efficacité des centres de données et des infrastructures informatiques sur l’impact sur le climat.
Il faut agir maintenant. Les composants électroniques issus de métaux rares provoquent l’épuisement de plusieurs matières premières telles que le Tantale ou le Palladium. La transformation numérique mondiale en cours et le ralentissement de la croissance conventionnelle de la capacité et des capacités des plateformes numériques sur silicium vont non seulement augmenter le nombre et la taille des centres de données, mais aussi leur consommation d’énergie et leur empreinte carbone.
SDEA va encourager les data centers de Suisse à se faire auditer afin de mesurer leurs efficiences énergétiques. La Suisse avec une énergie hydraulique abondante est bien placée dans le classement des « green datacenters ».
En ce qui concerne le edge computing, il est en pleine croissance. Les services IT étant de plus en plus imbriqués dans la vie professionnelle, tout le monde veut du high availability (HA) avec des latences très faibles. C’est le cas pour des entreprises ou des villes. Dans le cas des smart cities, tout est connecté : le contrôle intelligent des feux, les voitures autonomes, les conduites d’eaux usées et d’eaux potables. Avec l’internet des objets (IoT), les flux de données vont d’autant plus s’intensifier. Les capteurs disséminés doivent être reliés à des serveurs de plus en plus proches.